Petit panorama des Horror Comics d'avant le Comics Code

Publié le par Fred Tréglia

Bientôt paraîtra le premier numéro de Golden Comics !
Golden Comics vous fera découvrir une catégorie de BD aujourd’hui méconnue : les comic books américains du Golden Age !
Et notre premier opus est consacré aux Monstres ! Aussi vous proposerons-nous une présentation qui permettra, nous espérons, d’entrer de plain-pied dans ce genre particulier… 
Le genre horrifique apparaît dès 1936 dans New Fun Comics de National Allied Publication (l’ancêtre de DC Comics), avec le personnage du Dr Occult, un détective du surnaturel qui affrontera, entre autre, le « Master of Vampyres » dans le n°6, comprenez Dracula, bien sûr ! 
Première série à monstre, le "Frankenstein" de Prize Comics (Prize Publications) sort en 1940. Destiné à l’origine à un public très jeune, le magazine deviendra avec la guerre un titre de super-héros, avec Frankenstein luttant contre les nazis ! Si dans les pulp magazines d’avant-guerre, l’horreur avait déjà une place de choix, il faut attendre 1943 et la sortie du Suspense Comics de Continental Magazines, pour lire les aventures du héros Grey Mask affrontant démons et araignées géantes… 
En septembre 1944, Yellowjacket Comics de Charlton voit une sorcière présenter les récits (adaptant notamment deux nouvelles d’horreur signées Edgar Poe). Ce concept sera repris par la suite chez E.C. Comics pour ses « Witch’s Tales ». 

En 1945, Rural Home Publications sort deux numéros de Mask Comics, avec des couvertures angoissantes de L.B. Cole, présentant The Evil (Satan lui-même !), même si à l’intérieur, les histoires routinières de détectives se succèdent… Spooky Mysteries 1 de Your Guide Publishing imitera le concept, avec des histoires de monstres plutôt humoristiques, à l'instar de celles de Frankenstein Comics (prenant la relève de Prize Comics). Les premiers titres réellement consacrés à des adaptations de récits d’horreur sont à rechercher dans les pages de Classics Comics (qui deviendra par la suite Classic Illustrated), avec "Rip Van Winkle and The Headless Horseman" dans le n°12, "Dr. Jeckyll and Mister Hyde " (13), "Murders in the Rue Morgue" (21), le 26 étant la première adaptation de "Frankenstein" et le n°40 consacré à Edgar Poe. Mais ces récits peu nombreux restaient noyés au sein des autres classiques de la littérature !

Le premier titre entièrement consacré à l’horreur est Eerie 1 (Avon Periodicals, janvier 1947). Sans doute trop en avance sur son temps (ou pas franchement réussi, malgré la présence du jeune Joe Kubert), il n’aura pas de 2e numéro avant 4 ans ! En tout cas, le concept intéressera quelques fans, dont William M. Gaines (le futur éditeur des E.C. Comics) et ceux de B&I Publishing, qui lanceront en 1948 Adventures into the Unknown, dont la popularité fut immédiate (avec sa jolie adaptation du "Château d'Otrante" adaptation du roman gothique d’Horace Walpole  par Guardineer dans le premier numéro). Adventures into the Unknown, racheté dès le n°4 par American Comics Group, connaîtra 174 numéros, survivant au « Comics Code Autority » de 1954 en édulcorant ses histoires de fantômes (que vous lirez prochainement dans un Golden Comics consacré aux « Ghost Comics » !) et en s'essayant même au comics 3D sans lunettes !
Fin 1948, c'est dans les pages de Moon Girl, le seul titre de super-héros de Gaines, que  paraît la première BD d’horreur estampillée EC : "Zombie Terror", précurseur peut-être, mais de qualité discutable !
Trans-World tente alors sa chance avec Mysterious Traveler Comics, adaptant une émission de radio populaire. Malheureusement, malgré son concept intéressant de mystérieux conteur dans un train et les dessins de Bob Powell, le succès ne fut pas au rendez-vous…
C'est à cette époque (1949) que paraît chez Atlas Comics (la future Marvel) Amazing Mysteries 32 ! Pourquoi ce numéro 32 ? En fait, ce titre poursuit la numérotation du Sub-Mariner Comics moribond de la firme ! Quel rapport entre ce héros et les Horror  Comics ? Aucun ! Les super-héros ne faisant plus recette, Martin Goodman réoriente ses magazines vers l’horreur à la mode ! Captain America Comics se métamorphose en Captain America’s Weird Tales au 74, avant de se consacrer uniquement à l'horreur dans le numéro suivant et vite disparaître.  Amazing Mysteries s’arrêtera vite, lui aussi (au 35). Seul survivra Marvel Tales (l'ex Marvel Mystery Comics, rebaptisé ainsi au n°93 d'août 49)… 

Les E.C. Comics : petite piqûre de rappel sur la sulfureuse maison d'édition... par qui le scandale arriva !
Educational Comics est fondée en 1944 par Max Gaines,  l'un des pionniers du comic book (l'homme qui découvrit leur format !), avec Picture Stories from the Bible comme premier titre. À la mort de celui-ci en 1949, la direction de la petite maison d'édition échoit à son fils, William qui décide de passer à la vitesse supérieure, en prenant comme adjoints Harvey Kurtzman et Al Feldstein et en rénovant tout le catalogue pour le consacrer à des thèmes spécifiques : la fiction militaire (Frontline Combat, Two-Fisted Tales), l’horreur (voir plus haut), la science-fiction (Weird Science et Weird Fantasy, plus tard fusionnés sous le titre Weird Science-Fantasy, puis Incredible Science-Fiction) ou les affaires criminelles (War Against Crime, Crime Patrol, Crime Suspenstories). Le titre Shock Suspenstories mélange quant à lui habilement les genres, chaque numéro comprenant un récit « politique » condamnant l'intolérance (racisme, antisémitisme…), adjoint à des récits d'épouvante extrêmement efficaces. D'un point de vue format, les comic books EC contiennent tous quatre histoires de 7 ou 8 pages, illustrées par les meilleurs artistes de l’époque (Graham Ingels, Wally Wood, Reed Crandall, Johnny Craig, Jack Davis, George Evans, Jack Kamen, Bernard Krigstein, Joe Orlando, John Severin, Al Williamson, Basil Wolverton et même Frank Frazetta !). Les scénarios sont signés Kurtzman et Feldstein, parfois Carl Wessler, Jack Olek ou Otto Binder, tous attirés par la liberté de ton et l’enthousiasme de l’éditeur. Les histoires révolutionnent le comic book par leur profondeur, leur absence de compromission et leur maturité... bien trop en avance sur leur temps.  Ces qualités se retourneront contre l'éditeur, alimentant la campagne de dénigrement des comics du Dr. Wertham, qui accusait ces magazines d’encourager la violence chez les enfants… En 1954, l'opinion n'était pas encore prête pour les bandes dessinées "adultes" et un tel marché n'aurait de toute façon pas été suffisamment lucratif. L’orage qui grondait autour des titres E.C. se transforme soudain en tempête, lorsque William Gaines est auditionné par la Commission du Sénat ! Mais le courageux éditeur refuse tout compromis. Conscient de son bon droit concernant la liberté d’expression, Gaines tente de fédérer ses collègues éditeurs contre d'éventuelles mesures de censure. Les éditeurs fondent alors la Comics Magazine Association of America qui met en place le "Comics Code Autority" (CCA), chargé d'approuver ou de rejeter les comics en fonction de critères de décence très stricts. Mais les concurrents de Gaines, bien conscients de l’énorme publicité dont il jouit dans cette affaire, imposent une interdiction sur les mots "Weird", "Crime" et "Terror", attaquant de front leur vaillant porte-parole… Son initiative s'étant retournée contre lui, Gaines décide de ne pas adhérer à l'association... et les diffuseurs refuseront de distribuer les titres n’ayant pas le logo du Code ! Gaines réagit en lançant une nouvelle gamme de magazines (Aces High, Valor, Piracy, Impact, Psychoanalysis, M.D. et Panic). Malheureusement, et malgré la présence de son équipe extraordinaire, aucun titre ne dépassera le septième numéro… En 1956, Gaines arrête toutes ses publications, à l'exception du journal satirique Mad. Transformé à partir du numéro 24 en magazine, Mad évite ainsi les foudres du CCA, réservées uniquement aux comic books, et paraît toujours ! L’entreprise est rachetée par DC Comics après la mort de Gaines en 1992 et lorsque DC lance sa prestigieuse collection de figurines DC Direct, c'est finalement Alfred E. Neuman de Mad qui ouvre le bal (un contrat avec Mattel empêchait alors l'éditeur de Superman d’exploiter ses grands héros en jouets) !
Dans les années 60, l'éditeur Jim Warren (publiant le ciné-magazine Famous Monsters of Filmland) tente de renouveler l'exploit de Gaines, en réunissant la vieille équipe E.C.. Naîtront ainsi les magazines Creepy, Eerie et Vampirella, qui relanceront la mode de l'horreur (et seront eux-même copiés par Marvel dans les années 70).   
La popularité des comics d’horreur E.C. est toujours vive et , après avoir donné deux longs métrages chez Amicus dans les années 70, Tales From the Crypt est adapté en 1989 en série télévisée… Toujours réédités, notamment chez Russ Cochran, ces perles ont marqué toute une génération d'auteurs de comics, de mangas ou de BD européennes… Des chefs-d'œuvre absolus !

 

William M.Gaines se plaisait à dire qu’Atlas/Timely avait imité EC Comics, se contentant de saturer le marché avec plus de douze titres d’horreur, alors qu’EC n’en publiait que 3... Force est de constater que lorsque Gaines lance Crypt of Terror (à partir de Crime Patrol) et Vault of Horror (à la suite de War Against Crime), Marvel Tales en est déjà à son n°3 et Adventures into the Unknown à son 7e numéro ! Les premiers récits d'horreur de Marvel Tales étant de qualité (avec des dessins de Everett ou Sekowsky), nous ne rentrerons pas dans la polémique... S'il est évident que E.C. a publié les meilleures histoires d’horreur de 1951 à 54, il convient malgré tout de reconnaître qu'avant cette période, leurs productions étaient encore balbutiantes… L'horreur était de toute évidence dans l'air du temps, car tous les éditeurs vont s’y engouffrer après qu’E.C. Comics ait rebaptisé ses titres en avril-mai 1950 (Gunfighter devient Haunt of Fear, en plus des Crypt of Terror, renommé Tales From the Crypt au n°20, et Vault of Horror déjà mentionnés !). Ce procédé ne ressemble-t-il pas à s’y méprendre à celui opéré par Goodman chez Atlas à l’été 49 ?

Beaucoup d'erreurs ont été proférées sur le supposé "âge d'or des comic books" précédant le Comics Code. On a dit que les titres d'horreur et de Crime enregistraient des ventes fabuleuses, que ces genres dominaient les autres, que E.C. était la "Major" du moment... Faux ! 

Si plus de 500 titres envahissent effectivement les kiosques tous les mois (faisant de l'époque un vrai "Golden Age"de l'édition), le genre horreur n’a pourtant droit qu'à 75 magazines avant que la censure n'intervienne et les ventes d’E.C. dépassent à peine les 400.000 pour ses trois titres d'horreur et les 500.000 exemplaires pour Crime Does Not Pay… des ventes similaires aux Action Comics et Batman Comics (les rares survivants de la mode super-heros de la guerre) ou Marvel Tales,  alors que Mickey chez Dell Publishing est imprimé à 19 millions d’exemplaires et plusieurs Westerns dépassent le million ! EC Comics était donc une petite maison d’édition - ce qui n'enlève rien à la qualité extraordinaire de sa production -, alors que les Majors du moment s’appelaient Dell Publishing, Gold Key, Charlton,  et DC Comics...

 Cet âge d’or l’était aussi par sa foisonnante quantité d’éditeurs : 
- Ace Comics, avec le très bon Web of Mystery 
- Avon, qui relancera avec brio Eerie en 1951, avec les premiers dessins de Wallace Wood
- Ajax Farell et son Voodoo, avec un Werewolf de très bonne qualité
- American Comics Group et son Skeleton Hand
- Better Standard Publications, avec Adventure into Darkness, publiant Alex Toth…
- St John Publishing Co., avec Weird Horrors...
- Fawcett Comics et son Beware Terror Tales copiant les E.C.
- Fiction House, qui publie Ghost et Monster...
- Harvey Comics, sortant Tomb of Terror, Witches Tales...
- Star Publications et son Startling Terror Tales...

Comme vous le constaterez, Golden Comics présentera une sélection de BD de qualité du Golden Age, des histoires méritant simplement d’être redécouvertes et s’insérant dans la grande histoire des comics books… À l'horreur, se mêlent parfois d’autre genres comme la Science-Fiction, les Good Girls, le Western… 

Avec l’interdiction des Horror Comics E.C. en 1954 et la mise en place du Comics Code Autority, organe chargé de l’autorégulation des publications BD, toute cette fantaisie créative ne disparaîtra pas pour autant. Bien au contraire, car avec l’Horreur - et particulièrement les E.C. Comics -, l’idée s'est fait jour que les lecteurs de comics pouvaient être des adultes... Et les scénarios y gagneront... 



Dans une certaine mesure, Stan Lee et Jack Kirby sont les héritiers de cette mouvance. En « affaiblissant » leurs héros, en les rendant humains et faillibles, n'ont-ils pas renouvelé le genre et fait le succès de Marvel ? Les premiers épisodes des "Fantastiques" le montrent : le quatuor affronte des monstres, parus dans... Marvel Tales bien sûr ! 

Alan Moore ou Neil Gaiman suivront… et Watchmen est aujourd'hui considéré par les critiques comme étant le comic book ayant fait rentrer le médium dans l’âge adulte… Mais il était déjà adolescent (voire déjà adulte, dans les E.C.) avec les comics d’horreur du début des années 50… Un premier pas vers "la perte de l’innocence", si chère à ce bon Dr Wertham ! 

Voilà pourquoi Golden Comics 1 est consacré aux Monstres !  


Fred Tréglia et Jean Depelley
Couverture de Marvel Tales Copyright Marvel Comics, Logo EC Comics et couverture The haunt of Fear Copyright DC Comics utiliser à but d'illustration d'un article culturelle

Publié dans Golden Comics

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B
Bonsoir Fred, <br /> superbe article !<br /> <br /> Je ferai un post vendredi ou samedi de la semaine prochaine sur le Weird Monster tales, avec plaisir !<br /> A + + !
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R
Amitiés d’un petit poète qui s’enquiert de toute lumière…et vous convie au partage des émotions…
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